« Une femme merveilleuse dans la vie. Lumineuse. Un bel être humain. »

J’ai eu mon prix à 17 ans, j’ai fait du quatuor pendant 3 ans et je jouais beaucoup dans les nombreux orchestres de chambre qu’il y avait à cette époque sur Paris… mais je n’étais pas du tout satisfaite de la façon très brillante et très extérieure dont je jouais du violon. Ce n’était pas du tout mon caractère. Alors je me remettais beaucoup en question…
A cette époque on entendait beaucoup Claire Bernard, Elisabeth Balmas et quelques autres mais j’étais surtout accès sur la sonorité et la manière d’approcher le violon de Claire et d’Elisabeth. J’admirais la pureté et la clarté de leur son, leur tenue…C’est donc par l’intermédiaire d’Elisabeth que j’ai rencontré Dominique Hoppenot en 1968, à 22 ans. C’est aussi à ce moment que j’ai commencé à faire du yoga. Pour moi tout cela correspondait à ce que j’attendais du violon et à une posture générale dans la vie, me tenir différemment, respirer différemment, apprendre à être vraiment qui je suis. Abandonner ce côté brillant qu’on avait développé chez moi pendant mes études et développer le côté plus profond et plus intérieur que je sentais en moi.

Ce fut une relation humaine magnifique. J’ai travaillé avec elle pendant 15 ans, pratiquement jusqu’à sa mort. En 82 je me suis occupée de mes enfants alors j’ai dû arrêter de travailler mon violon, mais j’avais un acquis, je pouvais jouer comme je voulais.

Tout ça est un cheminement de vie… je me disais toujours « comme c’est dommage que je n’ai pas connu Dominique Hoppenot quand j’avais quinze ans »… mais notre rencontre c’est faite au moment où je remettais toute ma vie en jeu. Je détestais tellement cette manière de me raidir sur l’instrument que si je ne l’avais pas rencontrée j’aurais certainement fait autre chose...
Maintenant je vais bientôt avoir 64 ans, je fais 6 heures d’orchestre par jour, et je n’ai jamais mal nulle part, alors que dans les orchestres il y a plein de pathologies…
C’est aussi ce en quoi je pense à elle tout le temps…

La première leçon eu lieu un dimanche matin et au lieu de rester une demi heure, je suis restée plus de deux heures. Ce fut une fascination, un éblouissement… !
Je lui ai joué un peu de violon malgré les blocages que je ressentais…
Evidemment, elle a tout de suite vu mes défauts, mais aussi mon grand désir de changer.
Elle m’a demandé ce que j’attendais d’elle puis elle m’a dit qu’on allait reprendre à zéro et faire des cordes à vides pendant un certain temps, jusqu’à ce que j’y trouve du plaisir…
Elle m’a montré sa tenue, notamment le fait de tenir le dos, de ne pas cambrer… et bien après on a parlé de la position du violon…


Au cours du temps
C’était très difficile surtout dans les premières années car ce qu’elle nous apprenait au début était plutôt gênant tant cela remettait en question notre manière de jouer habituelle.
Pour gagner ma vie je jouais dans des tas de petits orchestres de chambre et il faut bien dire que ma manière de jouer « brillante » m’a quand même bien servie pour monter des programmes rapidement. Mais dès que je rentrais chez moi je travaillais pour essayer de retrouver les sensations qu’elle m’avait apprises.
Je jouais également beaucoup les sonates de Mozart, les concertos et elle me préparait aux concours pour entrer dans les orchestres.
Elle me faisait aussi travailler les concertos de Bach où il était plus facile d’y trouver le beau détaché par exemple.

Quand on a son prix depuis dix ans et qu’on joue toujours faux les démanchés de la première phrase du 3è mouvement du Beethoven, alors qu’elle me montrait l’exemple juste tout de suite, c’est qu’il y a un truc à trouver !
« La tonicité dans la détente et la détente dans la tonicité », c’était son grand mot. On la recherche tous les jours… à chaque instant….
Une phrase qu’elle m’a très souvent répétée, durant des années : « que vous jouiez du violon,  attendiez l’autobus, ou que vous épluchiez vos pomme de terre, vous devez vous tenir de la même manière! ».


J’ai mis beaucoup de temps à comprendre ce qu’elle me demandait mais ça venait, petit à petit, en faisant les cordes à vide, en essayant de ressentir l’équilibre entre les deux bras, leur symétrie, le rôle des deux coudes, les muscles du dos, en y réfléchissant tous les jours… à chaque début de leçon je n’avais plus rien, j’avais tout perdu… et à chaque fois elle cherchait à me relier, à me faire vivre ce que j’étais venue chercher chez elle. Elle montrait beaucoup. Un jour c’était un concerto de Mozart, un autre le Prokofiev, le Brahms… et toujours avec un son formidable. Et le fait de voir m’a beaucoup aidé car elle était ce qu’elle disait et ça aussi, ça sonnait très juste. Ainsi en quittant son appartement je repartais en ayant re-compris quelque chose : j’était bien droite j’étais capable de savoir bien faire un démanché, d’avoir un son pur… C’est comme cela que j’ai avancé, au fur et à mesure des années.


Rien que le fait de comprendre la bascule du bassin m’a pris des mois… je n’y comprenais rien ! J’étais surtout très lente, et elle me le disait. Elle me touchait le dos, essayait de me faire passer le bassin « dans les genoux »… Mais apprendre à avoir un dos bien tonique et un ventre bien détendu est une expérience de vie qu’on peut mettre des années à comprendre.
Jusqu'à présent j’étais dans l’attitude de montrer ce que je savais faire, donc « se tenir bien droit » sous entendait monter le torse, les bras, s‘appuyer sur le pied gauche… cela ne correspondait pas à ce que Dominique entendait par « se tenir droit ».
Aujourd’hui encore, j’essaie de m’assoire sur une chaise imaginaire pour que mon dos soit presque arrondi.
Pour moi, la posture du dos, c’est la clé de la vie.

 

Dominique Hoppenot chez elle, lors d'une soirée musicale en 1976.


Au niveau de l’interprétation, on ne parlait pas de style, mais elle nous apprenait la conduite de ce qu’on voulait comme phrasé. Et elle nous enseignait la justesse, l’écoute.
Quand je l’ai rencontrée, jusque là je jouais les notes qui étaient écrites, et ça marchait. Je ne jouais quand même pas faux, mais elle m’a appris à écouter chaque note que je faisais et à les anticiper. A anticiper le son, la position, pour que ce soit juste.
La justesse, c’est la position de la main… la position complète.
Donc on ne travaillait pas do dièse en soit, mais la posture, la main étant reliée au dos.… et quand le doigt tombait il était pile bien juste. Quand la main était bien sur l’archet, ça faisait un joli do dièse, un joli son.

Ses leçons étaient très longues… au moins deux heures… Elle sentait toujours ce qu’il fallait faire…
Elle m’a aussi dit des choses très dures. Elle était sévère.
Des gens ne prenaient parfois qu’une leçon avec elle car cela remettait trop de choses en question.
D‘autres aussi la copiaient… à l’orchestre j’en voyais qui se tortillaient… !
D’autres encore disaient « la posture, il suffit d’y penser ! »…
Il faut surtout apprendre à la vivre !

Ce passage était il difficile ?
Non. Je n’y comprenais rien, mais j’étais de bonne volonté et c’est cette approche que je voulais approfondir. De plus je crois que l’on s’aimait réciproquement. Sur le point de la philosophie de la vie on s’entendait à merveille… on parlait beaucoup.

En quelques mots… ?

Une vérité de la vie, c’est la manière de tenir son corps.
C’est donc une vérité du violon.