« Chère Dame Blonde… »
Dominique Hoppenot, vous nous avez quittés, au faîte d’une brillante carrière de pédagogue écrivain, novatrice dans l’art du violon. Pour quoi ce départ précipité, laissant quelques centaines d’élèves comme désemparés ?
Lorsque l’équipage d’un navire repère un phare, si ce dernier s’éteint, n’y a-t-il pas panique à bord ? Et ce projet qui vous tenez tant à cœur de créer une école Hoppenot ? La poursuite de votre carrière d’écrivain ?
En effet, vous projetiez d’écrire un livre dépassant le cadre du violon, sur la musique et la spiritualité…
Jamais nous n’oublierons votre beau regard bleu, perspicace, qui savait si bien mettre à nu la personnalité de votre élève. Qui n’a pas présent à sa mémoire les instants privilégiés que nous passions dans votre cabinet boudoir, à l’abris des agressions extérieures, où vous redonniez l’envie de jouer, au plus profond du désarrois ? Nous étions bien loin des ambiances surexcitées, anti-musicales, rencontrées malheureusement trop souvent dans la vie professionnelle.

 

Vous n’étiez pas, comme l’affirmaient vos détracteurs, bien sûr parlant de vous sans vous connaître, un « médecin », une « praticienne » du violon, n’ayant à faire qu’à des malades. De toutes parts, de tous horizons, des musiciens dont certains au plus haut niveau, venaient vous voir, attirés par l’aspect prémonitoire de votre enseignement qui se révélait être dans le sens de l’histoire de la pédagogie violonistique.

Dans votre bel appartement, reflet de votre personnalité faite de charme, de distinction et de simplicité, nous vous sentions bien là, attentive, réceptive dans votre totalité, vous donnant à l’instant présent. Nous existions enfin grâce à votre amour, votre appétit de la nature humaine car vous saviez chercher au delà des interrogations la quintessence et la richesse de chaque individualité…votre intuition-miroir était le révélateur des difficultés de chacun que vous pointiez du doigt. Et vous ne partagiez pas seulement nos souffrances, vous étiez complice de nos éclats de rire avec une fraîcheur presque enfantine. Mais quelle était votre force ? Votre singularité ? Eh bien paradoxalement, le fait de redécouvrir l’élémentaire. Vous remettiez les choses à leur juste place ; vous nous disiez : « respire » là où nous avions même oublié cette évidence ; « allez leur parler de leur colonne d’air, aux violonistes… » (le violon intérieur p 165).
Vous nous remettiez en confiance.

 

à la recherche de la verticalité...

 

Issue d’un milieu privilégiant les valeurs artistiques et culturelles, la mère de D Hoppenot, violoniste amateur, lui met un violon entre es mains vers l’âge de douze ans. Après un bref passage au conservatoire de Paris, elle va être influencée par un maître yougoslave Monsieur Pregnate, résidant en France depuis 1932 qui lui donna le goût de la pédagogie en lui confiant quelques uns de ses élèves. Et c’est par hasard, en effectuant un remplacement dans un conservatoire, que tous les élèves ne voulurent plus la quitter, considérant qu’ils avaient fait autant de progrès avec elle en une heure de leçon, qu’avec d’autres professeurs en six mois… On peut bien alors parler de vocation. Et c’est bien là le fil conducteur de sa vie car mis à part un court passage à l’Orchestre national de 1949 à 1953 en tant que consoliste, elle va entièrement se vouer avec passion à l’enseignement. De là sortira ce très beau livre « le violon intérieur ». Il ne fut d’ailleurs pas le premier car un autre fut édité en 1960 sur les origines de la religion chrétienne « les Voies du Seigneur ». Elle aurait certainement continué à écrire si elle avait vécu ; elle aimait dire qu’elle était attirée par la chose écrite.

A notre époque où les valeurs corporelles sont remises à l’honneur, Dominique Hoppenot applique cette notion à la pédagogie du violon : on ne joue pas seulement avec les doigts mais avec tout l’équilibre corporel. On ressent ce dernier dans sa totalité de même que dans la pratique du yoga, par exemple.
Elle donne une importance particulière à la sensation corporelle pour affiner sa technique violonistique. Citons à ce propos un passage du livre : « l’élève, en tant qu’artiste et musicien, devrait développer une réceptivité sensorielle immense, en tant que violoniste il devrait avoir une conscience affinée de son corps qui permette de réconcilier la musique et son mécanisme » (p 69).
Elle cherche donc à ce que l’on « conscientise la sensation ». Elle ne dissocie pas le violoniste de la personne humaine qu’est l’élève. Sa personnalité vibrante lui fait sentir et comprendre les interrogations, les difficultés psychologiques entravant le développement violonistique de ses élèves-amis. Ses détracteurs, ainsi, la qualifie de « psychanalyste du violon ».
Alors que la majorité des professeurs de violon projettent leur propre développement sur leurs élèves, comme une vérité première, elle était une des rares qui, se connaissant soi-même, savait établir une distance en s’effaçant et en respectant la personnalité de l’autre, s’efforçant de mettre le doigt sur l’élément capable de faire évoluer au moment présent. Un air de liberté flottait alors sur l’enseignement du violon, l’angoisse de « la solitude du violoniste de fond » disparaissait car seul face à lui-même, il savait enfin travailler.
Appliquant la relaxation physique, elle prend conscience de l’influence de l‘interaction des tensions psychiques sur les tensions physiques. Elle en vient ainsi à une introspection sur elle-même, sorte de méditation transcendantale se rapprochant du Zen. Elle donne donc au violon une dimension métaphysique, ouvre les portes de la spiritualité, prône de « lâcher-prise », contraire au volontarisme créateur de tension.
Elle n’érige pas de méthode, mais avec autant de plaisir qu’elle écoute la musique, elle se met à l’écoute de ses élèves. Son intuition lui fait avoir très rapidement la notion de ce que quelqu’un peut devenir en fonction de sa personnalité, comme le luthier effectue un réglage en fonction de la personnalité de l’instrumentiste.
La sonorité a une importance prédominante dans son enseignement, elle établit un rapport étroit entre le chant et le son : placer un son vocalement, c’est le placer instrumentalement. La représentation mentale du son se traduit par une sensation, une attitude physique et corporelle avant même de jouer. « Lorsque l’on a trouvé sa sonorité, ample, variée et détendue, pouvant aller sans dommage du plus extrême fortissimo au plus intime pianissimo, et capable de transporter dans ces nuances extrêmes toutes les plus riches émotions de l’âme humaine, alors on s’est trouvé soi-même et il en résulte une joie inégalable, comparable à bien peu de joie humaines. Cela ressemble à une profonde réconciliation de l’être humain avec lui-même, d’où naît peut être le vrai bonheur « d’être » et « d’être musicien » » (p 131).

 

...tous les moyens sont bons!

 

Après un aperçu de sa pédagogie, retraçons certains moments émouvants de sa vie comme sa rencontre avec Claire Bernard. Dominique a su placer Claire à point nommé dans la voie que cette dernière cherchait depuis toujours. Ce fut « le vol du condor ». On connaît les fruits que cette union a porté comme ce concours Enesco en septembre 1964, jeux olympiques du violon où Claire remporte la victoire sur la redoutable école russe.
Parlons aussi du projet de nombre de ses élèves de créer une « Fondation Hoppenot ». Son nom doit continuer à vivre. L’école Hoppenot comme l’école Menuhin doit être créée avec des stages regroupant entre autres les différentes approches corporelles vis-à-vis de son enseignement. Pour qu’existe et que vive la Fondation, des concerts seront organisés avec des personnalités amies comme Yehudi Menuhin, Paul Tortelier et bien d’autres encore…

Peut-être avez-vous été dévorée par ce flot incessant d’élèves se ralliant à votre juste cause, venant de tous les horizons musicaux, violonistes, solistes de l’Europe entière jusqu’aux musiciens de jazz et aux autres instrumentistes comme les violoncellistes…
Tous se sont ralliés à l’université de votre enseignement et vous n’avez pas ménagé vos forces, par altruisme et générosité, chère Dame Blonde.